DÉCOUVRIR EYMET PAR SON PATRIMOINE
Un château en bastide
Souventes fois, château fort rime avec éperon rocheux apte à être facilement défendu. Les forteresses cathares, de ce point de vue, font de magnifiques exemples. Plus près de nous, celle de Gavaudun également.
À l’inverse, le château d’Eymet a été édifié en fond de vallée, au bord d’une rivière, sur un terrain parfaitement plat…
Les vestiges du château
On situe la naissance de ce géant de pierre vers la fin du XIIe siècle, probablement à l’initiative d’un membre de la famille de Caumont. Si bien que lorsqu’Alphonse de Poitiers fonda une bastide à Eymet, en 1256, le château était en place.
Stratégiquement parlant, il a été installé dans un méandre du Dropt, sur une zone remblayée afin de prévenir les crues — au-delà du mur d’enceinte, la rivière constitue donc sa première ligne de défense. Il occupe l’emplacement d’un castrum, qui lui-même remplaça un ouvrage en bois construit sur une motte féodale établie vers l’an mille. Ce site ne doit rien au hasard : nous sommes au carrefour de deux anciennes voies romaines, tout près du confluent Dropt/Tibre, ce dernier étant un petit ruisseau qui naît sur les hauteurs d’Eymet. Modeste, certes, mais tellement pratique pour remplir les douves !
De la forteresse médiévale d’origine nous sont parvenus quelques beaux vestiges, même si, au cours des siècles, moult ajouts et démolitions en ont modifié l’aspect initial.
Voici, autour de la cour intérieure, les constructions que nous pouvons encore apprécier :
- La muraille ouest : s’y adossaient des bâtiments dédiés à la garnison et aux domestiques. Il en est resté ce qu’on appelle l’ancienne galerie, avec sa large cheminée et deux baies géminées en façade sud.
- La muraille sud comporte une échauguette et la grande porte ouvrant sur la bastide, surmontée d’une bretèche avec archère et assommoir.
- Protégée par une herse, un assommoir et un complexe défensif à l’étage au-dessus, la poterne nord donne accès à l’extérieur.
- Le mur nord : on y a accolé, au XVIIIe siècle, un élégant logis de style périgourdin.
- Enfin, il y a le donjon : pièce maîtresse du château, symbole de la puissance du seigneur, cette tour, de plan sensiblement carré, comprend trois salles d’une trentaine de m2 bénéficiant d’une généreuse hauteur (près de 6 m !) sous voûte :
• Au rez-de-chaussée, le cachot (le caveau d’aujourd’hui) : cette pièce est aveugle, sans liaison avec les étages.
• Au premier, une salle tout confort dédiée aux gardes, avec cheminée, évier du « coin cuisine », latrines, fenêtre ouvragée à cousiège au sud. Une porte ouvre sur l’escalier intérieur, une autre donne sur la cour : on accédait à cette salle par une simple échelle, facile à escamoter en cas d’attaque.
Le départ de l’escalier se trouve à cet étage : fait de hautes marches très étroites, pratiquer ce bel ouvrage revient à jouer les acrobates ! Tournant à gauche, il est dit « non défensif ».
• La salle du second étage, réservée au seigneur, comporte une cheminée, un évier, des latrines et plusieurs niches. Comble du raffinement, deux fenêtres à coussièges éclairent la pièce : une double au sud, une autre au nord.
• Terminons par la terrasse : à plus de 21 m du sol, elle offre une vue splendide sur les toits de la bastide. Les mâchicoulis ont été conservés en couronnement des façades. Un merveilleux poste d’observation, au rôle strictement défensif, d’où l’absence de créneaux.
Lorsque les arpenteurs d’Alphonse tracent les plans de la bastide, ils doivent évidemment faire avec la présence du château — qui assurera la domination du suzerain sur la cité à naître ! C’est pourquoi les limites de celle-ci viennent « à cheval » sur la ligne des fossés et de l’enceinte de l’édifice : maître de la bastide, il en est aussi indépendant puisqu’il dispose de deux sorties, l’une dans la ville, au sud, l’autre à l’opposé vers la campagne ! Quant aux remparts ceinturant la cité, édifiés à partir de 1320, ils viendront « se greffer » sur les murailles du château.
Alphonse et Jeanne
Comte de Poitiers et de Toulouse, Alphonse est le fondateur de la bastide d’Eymet. On le connaît aujourd’hui sous ce nom d’Alphonse de Poitiers, ayant oublié un peu vite, peut-être, qu’il était prince de sang royal : de son « vrai » nom Alphonse II de France, il est l’un des neuf enfants du roi Louis VIII dit le Lion et de son épouse, Blanche de Castille. Il naît à Poissy le 11 novembre 1220, six ans après l’un de ses frères, qui deviendra roi de France sous le nom de Louis IX dit le Prudhomme — Saint-Louis, horsdoncques.
À cinq ans, Alphonse reçoit par testament paternel le comté de Poitiers. En 1229, on lui promet Jeanne, fille du comte de Toulouse Raymond VII, alors qu’elle a seulement neuf ans. Un moment différé, leur mariage est célébré le 13 mars 1234 — ou le 13 mars 1241 ? La première date semble la plus plausible, car l’enjeu de ces noces était de faire passer au plus vite le comté de Toulouse sous contrôle du royaume de France.
Alphonse et Jeanne… Tous deux nés en 1220, ils avaient quasiment le même âge, et la même arrière-grand-mère : Aliénor d’Aquitaine.
Jeanne la fidèle participe de près aux activités de son époux et à l’administration de ses biens — y compris en cosignant des actes comme la charte d’Eymet :
« Nous, Jeanne, comtesse de Tholose et de Poitiers, approuvons la charte de concession faite par notre très cher seigneur, le comte susdit, notre époux. Nous la voulons et la proclamons sans contrainte, et faisons apposer sur les présentes lettres notre sceau avec celui de notre seigneur, le comte de Tholose.
Donné au mois de juin, l’an de notre Seigneur 1270. »
Alphonse est fait chevalier en 1241. Un an plus tard, après avoir étrillé ses vassaux poitevins, il rejoint avec Jeanne son frère parti en Égypte pour la VIIe croisade. Puis, à la mort de son beau-père, Raymond VII, en 1249, il hérite de ses titres et domaines, devenant du coup le plus riche prince royal de France. Il retourne alors en Île-de-France, d’où il gérera ses fiefs jusqu’à la fin.
Tandis que Saint-Louis est retenu prisonnier par les Sarrazins en Égypte, Alphonse succède à sa mère (elle meurt le 26 novembre 1252) à la régence du royaume de France. Dans le même temps, il dirige aussi ses affaires, s’appuyant sur un réseau de sénéchaux et baillis. Poursuivant l’œuvre de Raymond VII, il ordonne l’édification d’une cinquantaine de bastides, afin de baliser son vaste territoire : un chiffre considérable si on le rapporte à la totalité des « villes nouvelles du Moyen Âge » édifiées dans le grand sud-ouest — entre 350 et 500, les spécialistes se déchirent encore aujourd’hui quant à leur nombre exact ! Sainte-Foy-la-Grande (1255), Monflanquin (1256), Castillonnès (1259), Villefranche-du-Périgord (1261) et Villeréal (1267) sont les bastides alphonsines les plus proches de la nôtre.
Alphonse et Jeanne sont aussi de la VIIIe croisade, qui se solde par un cuisant échec et la mort du roi de France. À leur retour, ils passent quelques mois en Sicile, puis reprennent leur route, en juin 1271. Tous deux malades, ils font étape au château de Corneto, près de Sienne. Alphonse y meurt le 21 août 1271, Jeanne quatre jours plus tard, le 25 août — un an exactement après que son beau-frère, Saint-Louis, eut succombé à la dysenterie, au pied des remparts de Tunis.
Alphonse étant mort sans descendance, ses fiefs sont réunis au domaine royal français selon la volonté du roi Philippe III Le Hardi. Un an après la promulgation de sa charte, la bastide d’Eymet devient donc « officiellement » française. Pas pour très longtemps ! Le traité d’Amiens la cède en effet au roi d’Angleterre, Edouard Ier, le 23 mai 1279.
Mais comment se fait-il que la présentation de cette charte, co-signée par Alphonse et Jeanne, ait pu se faire le 28 juin 1270 alors que le couple se trouvait à Tunis ? En réalité, Alphonse n’a jamais posé ses chausses sur le sol eymétois ! Pas plus que son épouse. Si une bastide naît à Eymet en 1256, si on accorde aux habitants une charte des coutumes quatorze ans plus tard, c’est bien sur ordre d’Alphonse, en accord avec sa moitié… C’est surtout grâce à leurs sénéchaux, qui veillaient depuis Agen à leurs intérêts dans la région !
Guillaume, Gilbert, Bertrand et les autres…
Le premier seigneur d’Eymet (connu) est Guillaume III de Caumont (1314-1352). Gilbert de Pellegrue lui succède, le 6 mars 1352, par lettres patentes du roi d’Angleterre Edouard III. Nous sommes alors en pleine guerre de Cent Ans. Commencée en 1345, cette période de forte tension entre Anglais et Français se termine (provisoirement) par le traité de Brétigny du 8 mai 1360, lequel fait passer le Périgord sous occupation anglaise… Dès lors, la puissante famille des Pellegrue va marquer pour longtemps l’histoire eymétoise, d’abord sous la bannière aux trois léopards des Plantagenêt, puis en faisant allégeance au roi de France. Guillaume est le premier des Pellegrue à servir la cause royale, en 1380. En 1451, un autre baron de la famille jure fidélité à Charles VII.
Au bas du traité de Bordeaux, en date du 12 septembre 1453 (soit deux mois après la bataille décisive, dite de Castillon, du 17 juillet), on peut lire que Bertrand de Pellegrue « est ci-devant enregistré et baillé Monseigneur d’Aymet ». Dès lors, afin de perpétuer le souvenir de l’événement, le donjon du château sera nommé « Tour Monseigneur ».
Les « autres », ceux qui au fil des siècles succèderont à Bertrand, appartiennent à de grandes familles d’Aquitaine : les Pellegrue d’abord, jusqu’en 1549, puis les Foix-Caudalle, Beaupoil, Vivonne ou Caumont La Force... Mais ceci est une autre histoire.
Et aujourd’hui ?
Rappelons qu’Eymet est la seule bastide du bassin du Dropt à avoir été bâtie au bord de la rivière. Elle est aussi l’une des rares à posséder un château fort — intimement lié à la destinée de la cité, il y occupe un rang patrimonial particulier. Et les occasions de le valoriser ne manquent pas, sportives ou culturelles : descente en rappel du donjon ou tyrolienne, expos, feu d’artifice du nouvel an, ouverture lors des Journées du Patrimoine... Quant au logis, après avoir longtemps abrité un intéressant musée d’arts et traditions populaires, il reçoit maintenant expos, mariages et concerts.
Gérard Lallemant
Article paru dans la revue Secrets de Pays n° 18, deuxième semestre 2021
"Teuf-Teuf" sur Dropt • Pont ferroviaire sur le Dropt
Le pont métallique qui permettait aux trains à vapeur de franchir le Dropt à Eymet à fêté ses 140 ans en 2025. L’ouvrage a pourtant conservé toute sa finesse, et il porte le poids des ans avec une rare élégance, tout en revendiquant son identité technique — ce qui ne justifie pas pour autant l’appellation « pont Eiffel » dont on l’affuble volontiers.
600 ans en 200 mètres
À 200 mètres de ce pont ferroviaire, en amont, se trouve un autre ouvrage, radicalement différent et construit en période romane, soit au bas mot 600 ans plus tôt ! On ne manquera pas de relever que, sur une distance aussi faible, il est encore possible de nos jours d’admirer deux modes de construction que tout oppose !
À ma gauche, un bâti en pierre : deux arches, en plein cintre mais différentes, deux avant-becs, un triangulaire et un carré (ils protègent les piles et offrent un refuge aux piétons), un étroit tablier pentu et des garde-corps couronnés de belles pierres.
À ma droite, la preuve que la métallurgie de la fin du XIXe siècle a produit des œuvres remarquables. Parmi les techniques innovantes utilisées ici, la poutre-treillis : le pont d’Eymet en compte deux, décalées d’une dizaine de mètres au droit des culées, l’ouvrage n’étant pas perpendiculaire à la rivière. Leurs mensurations : 70 cm de largeur, 50 m de longueur et 5,10 m de hauteur — 3,10 m en superstructure + 2 m entre le tablier et les culées.
Les fers plats ou en U et les cornières qui composent ces poutres sont tous liés par rivetage à chaud. Il s’agit du premier procédé généralisé d’assemblage en construction métallique, qui a ensuite cédé la place à la soudure, mais qui reste encore employé aujourd’hui pour la réhabilitation d’ouvrages anciens. Avant sa pose, le rivet, gros clou à une tête, est chauffé au rouge ‘cerise clair’, soit environ 950°. Pendant l’acte de fixation, cette tête est maintenue en place par une contre-bouterolle, tandis que le fût du rivet est forgé par martelage à l’aide d’une bouterolle afin de créer la seconde tête. Lors du refroidissement, la contraction du rivet provoque le serrage des pièces entre elles. Cette excellente technique n’avait qu’un seul défaut : une mise en œuvre très lourde, ce qui a permis à la soudure de s’imposer.
Entre les poutres, un tablier de 9,50 m de largeur supportait les rails des deux voies. Il est composé de membrures reliées elles aussi par rivetage à chaud aux poutres-treillis — 2 m plus bas, celles-ci reposent sur les deux culées soigneusement bâties en pierre. En sous-face du tablier sont fixées de curieuses suspentes : on y accrochait les agrès et plateformes utilisés lors des interventions sur les structures.
Contrairement à des ouvrages plus importants, il semble que le pont d’Eymet ait été entièrement façonné sur place : taille des pièces et rivetage, lancement et mise en place des poutres et du tablier grâce à des échafaudages et rondins de bois.
À qui doit-on ce pont ?
En cette fin de XIXe siècle, sur les bâtiments et ouvrages d’art dignes d’intérêt, l’architecte ou l’ingénieur apposait une plaque, signant ainsi son œuvre. Un geste courant à l’époque.
Sur chacune des poutres du pont d’Eymet se trouve une plaque : « Société anonyme - Les Ateliers de Construction du Nord de la France • Blanc-Misseron (Nord) • 1885 » Voilà qui ressemble fort à une « plaque-signature », n’est-ce-pas ? Et pourtant, nous n’avons pas trouvé la preuve formelle que Blanc-Misseron était bien le constructeur de l’ouvrage.
Faute de certitude, nous avons élaboré une hypothèse qui s’appuie sur deux éléments sérieux. Le premier, c’est bien sûr la présence de ces deux plaques : en effet, on ne signe pas une œuvre qui ne vous appartient pas !
Second élément, on sait que Blanc-Misseron était une grande entreprise spécialisée dans la construction de matériels ferroviaires, notamment les locomotives à vapeur — dont l’assemblage des pièces se faisait (tiens, tiens !) par rivetage à chaud. Il est donc plausible que Blanc-Misseron, qui maîtrisait parfaitement cette technique, ait construit ce pont en même temps que les machines qui devaient l’emprunter !
Des lignes à tout va !
La Société du P.O. (Paris-Orléans), les Compagnies des Chemins de Fer du Midi ou des Charentes-Vendée ont tour à tour mis la main à la poche, jonglant entre leurs zones d’influence et les souhaits de l’État pour faire construire les infrastructures nécessaires à l’ouverture de lignes selon un programme chargé :
1873 > Bordeaux-La Sauve.
1886 > Bergerac-Falgueyrat-Eymet-La Sauvetat-du-Dropt-Marmande. Cette ligne ouvre un an après la construction du pont d’Eymet. Puis elle rejoint Mussidan en 1888, Ribérac en 1890 et Angoulême en 1894.
1889 > La Sauve-La Sauvetat-du-Dropt. Eymet se trouve alors connectée à Bordeaux et développe son attractivité.
1925 > Falgueyrat-Villeneuve-sur-Lot.
Tuée par un réseau routier qui ne cessait de s’améliorer, la ligne Marmande-Eymet-Bergerac est la dernière de la région à fermer, en 1953. Du coup, le pont ferroviaire d’Eymet n’avait plus lieu d’être mais, fort heureusement, il a été conservé et tient désormais sa place parmi les éléments patrimoniaux de la cité. Ne lui manquent qu’une bonne couche de peinture et un éclairage adéquat pour l’accompagner dans une nouvelle tranche de vie.
Gérard Lallemant
Article paru dans la revue Secrets de Pays n° 17, premier semestre 2021
Lac de l’Escourou : Dame Nature y a son mot à dire !
Créé pour assurer la réalimentation du Dropt et subvenir aux énormes besoins en eau des maïsiculteurs de l’aval, le lac de l’Escourou a également pris sa place parmi les attraits touristiques du Pays d’Eymet, devenant site de promenade, de détente ou de pêche pour les humains, et halte appréciée des oiseaux ! C’est pourquoi un parcours naturaliste y a été installé.
Histoire d’un réservoir
On a peine aujourd’hui à imaginer qu’ici, il y a un quart de siècle, des vaches broutaient sur des prairies que traversait un petit ruisseau, l’Escourou, lequel marquait alors la ‘frontière’ entre Eymet et Soumensac, entre Dordogne et Lot-et-Garonne. Paysage éminemment bucolique, ceint de modestes coteaux formant une dépression suffisante pour intéresser des hydrauliciens en quête de lieux de stockage… Leurs études préalables datent des années 80, le premier coup de pioche de juillet 1993. Il est suivi, en 1994, du ballet de gigantesques engins décapant les sols, charriant roches et terre argileuse pour édifier la digue aval (équipée d’un déversoir acheminant le trop plein vers le Dropt) et la digue amont, laquelle sépare deux plans d’eau : le grand lac de l’Escourou et le petit.
La route Eymet/Soumensac emprunte cette digue amont qui, elle aussi, a été dotée d’un déversoir assurant au petit lac un niveau constant et permettant au surplus d’eau de passer vers le grand — lorsque le niveau est identique des deux côtés, le plein est fait ! Le grand lac s’étale alors sur 130 hectares et retient 8,3 millions de m3 d’eau ! De quoi susciter des envies…
L’Escourou, un terrain de jeu ?
Depuis sa mise en eau, en 1995, le lac est dédié à la réalimentation du Dropt et à l’irrigation, confortant ainsi la rivière dans un bien triste rôle de tuyau d’arrosage… Toutefois, l’attrait touristique du lac ayant été vite mis en évidence, on édicta quelques règles : véhicules à moteur interdits sur les sentiers, barques à moteur électrique seules autorisées, délimitation des zones de pêche… Malgré les envies de certains de faire du site une base de loisirs, il n’a jamais été question ici de guinguettes, de structures d’hébergement ou d’activités sportives — du moins jusqu’à aujourd’hui... Tout juste admet-on une journée « Babyski » par an et quelques séances d’entraînement pour des clubs nautiques.
Le lac n’est donc pas devenu terrain de jeu… Sauf pour une activité spécifique nous renvoyant au chemin qui reliait les hameaux de Terrade et Roche et au pont qui franchissait le ruisseau l’Escourou. Lors de la mise en eau, chemin et pont furent engloutis, mais à très faible profondeur. Le jour où la Sécurité Civile décida d’envoyer les Canadair de la base de Mérignac pour mener des essais, il fallut d’abord démonter les garde-corps du pont afin d’éviter tout incident lors de l’écopage ! Depuis, pendant quelques heures chaque année, on peut assister à une valse aéronautique aussi insolite qu’admirable au-dessus du lac !
Le parcours naturaliste
L’Escourou figure parmi les plus grands réservoirs artificiels d’Aquitaine — et il est certainement l’un des plus beaux ! Il s’inscrit en effet dans un superbe écrin végétal d’où émergent quelques hameaux de charme. Bois, bosquets, prairies et coteaux secs préservés laissent à penser qu’ici, Dame Nature a (encore) son mot à dire… C’est pour mieux connaître ses trésors que les stations d’un sentier de découverte ont été installées en 2015/16 sur un kilomètre environ le long de la rive eymétoise du petit lac.
Le panneau d’accueil est installé sur l’aire de stationnement, côté Saint-Sulpice. Il est suivi, à quelques dizaines de mètres en contrebas, d’un ponton handi-pêche joliment dessiné et d’un panneau consacré aux poissons du lac.
Tout près de là, des cubes à aligner sur une colonne proposent d’associer des oiseaux à leurs pattes et becs respectifs. Et on nous livre les clés pour identifier les oiseaux par la silhouette, les couleurs ou l’habitat, ainsi qu’une recommandation pour la suite de la visite : mettre tous ses sens en éveil et se faire discret !
Plus loin, une station permet de faire le tri entre les oiseaux qui fréquentent le lac toute l’année ou seulement à certaines périodes — une centaine d’espèces y ont été décomptées : une diversité plutôt réjouissante, mais qui ne saurait cacher la fragilité de ce paysage ornithologique et doit inciter à sa protection.
Les migrateurs hivernants comme la sarcelle d’hiver en provenance d’Europe du Nord passent la mauvaise saison au lac. Pour les migrateurs de passage (chevalier, grue, cigogne, balbuzard…), le plan d’eau constitue une halte fort utile. Si les oiseaux en migration pré-nuptiale de printemps ne s’attardent guère, ceux qui pratiquent la migration post-nuptiale de l’automne prennent plus volontiers leur temps. Quant aux migrateurs nicheurs (huppe, loriot, rossignol…), ils débarquent au printemps pour se reproduire et élever leurs rejetons avant de repartir à l’automne. Enfin, les sédentaires passent leur vie entière au lac : c’est le cas du héron, du martin-pêcheur ou de la poule d’eau.
Ensuite, deux colonnes de cubes à aligner vous attendent : l’une est consacrée à la prairie que longe le sentier, un écosystème favorable aux orchidées. Il y est question des troublantes stratégies de pollinisation utilisées par ces plantes étonnantes.
L’autre colonne fait le lien entre la haie qui borde le lac et certains oiseaux. Le faucon crécerelle s’y perche tout en haut, afin de surveiller son territoire. La fauvette à tête noire s’y cache pour se nourrir ou donner son magnifique récital. Et le martin-pêcheur fréquente les branches basses, juste au-dessus de l’eau, pour mieux fondre sur le menu fretin qui passera à portée…
Non loin de là, une station montre les aspects que prend le lac au cours de l’année : paysages, végétaux, comportement des animaux, tout change au fil des saisons.
Puis, à l’approche des deux huttes d’observation, on nous invite à faire silence. À ce prix, au bout de vos jumelles, vous verrez sans être vu les hérons, canards, cormorans et autres bécassines se partager une zone où la hauteur d’eau est faible, à l’embouchure du ruisseau l’Escourou. Ici, il y a souvent affluence ! Et l’on peut également observer de grosses carpes qui, à l’époque du frai, se font impudiques !
Plus loin, une station présente différents habitats, notamment les bois et prairies, les milieux agricoles et l’intéressante zone humide de la queue du lac, riche de sa ripisylve et de sa roselière. Cet endroit accueille moult espèces qui y trouvent le gîte et le couvert : mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles, insectes… Aurez-vous la chance d’y découvrir le nid délicat que la rousserolle tisse autour de tiges de roseau ? Et pourquoi pas voir ce même nid squatté par un oisillon braillard, bien plus gros que son hôte : la rousserolle figure en effet parmi la quarantaine d’espèces d’oiseaux parasitées par le coucou.
Enfin, au-delà de la roselière, le dernier panneau du parcours est consacré à la vie nocturne au lac : à la tombée de la nuit, la hulotte vient y chasser le mulot tandis que le renard, le sanglier ou le blaireau partent en maraude. Cette station évoque aussi les dames de la nuit : deux espèces de chauves-souris ont élu domicile dans les galeries du touron de Saint-Sulpice, classé zone Natura 2000, à quelques centaines de mètres du lac. L’été, au coucher du soleil, le Rhinolophe Euryale et le Vespertilion à Oreilles échancrées nous offrent un remarquable numéro de voltige aérienne tout en se gavant de moustiques — saluons ce geste salutaire pour notre santé !
Gérard Lallemant
Article paru dans la revue Secrets de Pays n° 14 deuxième semestre 2019